Poussés par une bande d'étudiants déterminés à secouer leurs aînés et à sortir le racket mafieux du silence, une centaine de commerçants de Palerme (Sicile) ont décidé de briser l'omerta et d'afficher publiquement leur "non" à l'extorsion.
"Un peuple entier qui paie le +pizzo+ (impôt mafieux) est un peuple sans dignité." Il y a deux ans, par une belle nuit d'été sicilienne, les murs du centre de Palerme furent recouverts de ce slogan provocateur, tamponné noir sur blanc sur des centaines de petits adhésifs anonymes.
A l'origine de l'initiative, une poignée d'étudiants sans complexes et pour la plupart sans appartenance politique, mais décidés à "réveiller les consciences sur un problème que plus personne ne voulait voir à Palerme, alors que selon des estimations, quatre commerçants sur cinq s'acquittent du pizzo", explique Daniele Marannano, 21 ans. Dans la foulée, les médias locaux s'interrogent sur ces messages sans signature et l'opinion publique se partage sur l'opportunité de défier ainsi la mafia locale. Le mystère s'épaissit tellement que le préfet convoque un comité extraordinaire pour la "sécurité et l'ordre public". "Quand on s'est rendu compte que le +coup des autocollants+ avait marché, on est sorti du silence, puis on est allé chercher des commerçants pour les convaincre un par un de continuer l'aventure avec nous", poursuit Barbara Giangravè, étudiante en communication de 24 ans.
Boutique de vêtements, pizzerias, agences de voyage ou services aux entreprises, plus d'une centaine de gérants s'engagent désormais publiquement à refuser le racket mafieux et à dénoncer d'éventuels extorqueurs.
Et si tous savent qu'en 1991, à une époque où Cosa Nostra faisait parler volontiers les armes, l'entrepreneur Libero Grasso avait payé de sa vie ce genre de bravade, les rebelles ont accepté que les noms de leurs enseignes, leurs adresses et numéros de téléphone soient consultables sur internet (www.addiopizzo.org).
"Je ne me sens pas courageuse, juste cohérente. Même si je n'ai jamais eu de problème de racket dans ma petite boutique, j'ai voulu adhérer pour lutter contre un tabou et faire en sorte qu'on puisse parler librement du +pizzo+", explique Loredana Fulco, 45 ans, tablier jaune et mains farineuses, près du plan de travail où elle façonne ses pâtes fraiches.
"Beaucoup se disent qu'ils n'ont jamais été rackettés et se demandent à quoi ça sert de réveiller un chien qui dort. C'est justement contre cette peur qu'il faut se battre, pour soutenir tous ceux qui paient en silence", poursuit-elle. Si le projet a laissé de nombreux commerçants indifférents, quelque 7.400 consommateurs se sont en revanche engagés à faire leurs courses chez les commerçants d'Addio Pizzo (Adieu Racket), et ces derniers reçoivent même des visites plus fréquentes de la police, car la magistrature et les autorités locales se sont à leur tour laissé
convaincre par le projet.
"Les policiers ou les carabiniers viennent une à deux fois par jour me demander si tout va bien, s'il ne s'est rien passé de bizarre. C'est rassurant et j'ai vraiment l'impression qu'ils sont avec nous. Certains m'ont même acheté le tee-shirt de l'association", s'amuse Claudia Villani, 37 ans, dans sa boutique de vêtements recyclés.
Malgré l'intérêt qu'ils ont suscité dans les médias italiens et parfois étrangers, les étudiants d'Addio Pizzo gardent les pieds sur terre.
"Nous savons très bien que la majorité de nos adhérents n'ont jamais été menacés. Le plus dur pour nous sera de vivre dans la durée et, surtout, d'aller dans les quartiers où la mafia est très implantée, là où elle réussit à convaincre les gens qu'ils lui doivent quelque chose", conclut, lucide, Barbara Giangravè.
Fonte: La Tribune de Genève en ligne
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